A. Bastian: Une école de gouvernement, 1798-1803

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Titel
La Chambre administrative du Canton du Léman. Une école de gouvernement, 1798-1803


Autor(en)
Bastian, Adrien
Erschienen
Lausanne 2020: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
652 p.
von
Étienne Hofmann

Enfin ! serait-on tenté de dire ; enfin une étude fouillée et exhaustive sur une institution essentielle de notre canton ! Sans doute Marie-Noëlle Altermath y avait-elle consacré, il y a vingt ans, un important mémoire de licence, mais son travail n’a pas été publié et l’auteure s’intéressait avant tout aux carrières des administrateurs et non aux tâches qu’ils avaient accomplies1. L’ouvrage bienvenu de M. Bastian est encore pionnier pour la Suisse, car les Chambres administratives des autres cantons helvétiques n’ont été que très peu abordées.

Quatre parties d’ampleur inégale se partagent cette étude : la première en nonante pages retrace le contexte historique et institutionnel de la République helvétique ; la deuxième examine brièvement la période qui précéda, sous l’Assemblée provisoire, la mise en place de nouvelles instances lémaniques ; vient ensuite le plat de résistance sur 460 pages : les résultats de l’enquête approfondie sur tous les aspects de la Chambre administrative (CA) ; enfin, une ultime partie est consacrée à la liquidation de la République helvétique avant la Médiation.

Faute de place, cette recension se limitera à un survol, en soulignant les points forts. Le rappel du contexte politique est essentiel, étant donné d’abord les connexions entre la CA et les instances supérieures de l’État, ensuite l’instabilité des institutions : quatre coups d’État, onze projets de constitutions, dont deux seulement ont été viables quelques mois. Imposée brutalement par la France, la république unitaire doit subir outre l’occupation militaire, des réquisitions, puis la guerre sur son territoire, toutes conditions défavorables à son implantation dans des esprits peu préparés à l’accueillir, sauf parmi les élites, qui sont d’ailleurs loin d’être unanimes. Découpage territorial (cantons amputés ou au contraire regroupés), unification du droit, redéfinition de la citoyenneté, tentative de créer un esprit national dans cet ensemble composite et bigarré : l’ajustage de ce nouvel habit taillé à la mode parisienne ne se fait pas sans difficultés ni résistances. Mais, comme beaucoup de ses prédécesseurs, A. Bastian souligne tout ce que cet effort de modernisation peut avoir eu de positif pour l’avenir de la Confédération.

Les deux tiers de ceux qui composeront la CA ont déjà des charges importantes au sein de l’Assemblée provisoire en janvier 1798. Sept sont parmi les électeurs qui désignent les autorités cantonales ; enfin, à mi-mars, les cinq premiers administrateurs sont élus : Glayre, Monod, Auberjonois, Perdonnet et Bergier et, à la fin du mois, leurs suppléants : Jaïn, Ausset, Doxat, Testuz et Duvillard. En fonction dès le 30 mars, la CA doit s’occuper d’un reliquat d’affaires laissées en suspens après la dissolution de l’Assemblée provisoire : emprunt Ménard, celui sur le sel, plaintes des anciens baillis, suppression des assemblées populaires et des comités de surveillance dans les communes. Tant que les pouvoirs centraux de la République helvétique ne sont pas en place, la CA du Léman dispose en effet, pendant un mois, des tous les pouvoirs exécutifs et législatifs, fait exceptionnel au niveau suisse.

D’abord limitées par des institutions très centralisatrices, l’autonomie et les compétences des CA s’élargissent à partir du coup d’État d’août 1800. De l’avis des autorités helvétiques, le Léman se distingue de ses homologues, par la rigueur et la haute tenue de sa gestion ; les compétences de ses membres les plus assidus, leur dévouement, la bonne harmonie de leurs relations ont compensé la carence générale de fonctionnaires qualifiés. Sur le personnel et l’activité quotidienne au château Saint-Maire, un chapitre fournit des détails très intéressants ; la tâche est considérable et certains s’y épuisent : audiences, correspondances, transmission des lois, arrêtés ou décrets venus de la capitale. Les administrateurs peuvent compter sur le dévouement de la secrétairerie (Panchaud, Boisot, Saugy) ; le recrutement des employés se fait auprès des étudiants de l’Académie, dont certains renoncent au pastorat (Boisot), ou chez les notaires ; les fonctionnaires se répartissent dans dix bureaux ou dicastères (finances, sel péages et poudres, militaire, guerre, santé, par exemple). À régime nouveau, personnel nouveau ? Ce n’est pas si simple ; la « pénurie de talent » (La Harpe) impose le maintien d’un certain nombre de commis, même si l’on écarte ceux dont les opinions sont jugées exagérées. D’où aussi souvent le cumul de fonctions pour suppléer à cette carence de compétences.

Le manque de moyens financiers entraîne des arriérés de salaires fréquents, qui démotivent beaucoup de fonctionnaires. Le nombre et l’importance des réformes à introduire impliquent une fonction publique assez lourde ; son coût et la pléthore d’employés suscitent de nombreuses critiques. Le peu de ressources financières est ainsi absorbé par le fonctionnement de l’État et les énormes besoins de l’armée française d’occupation. À cela s’ajoutent la rareté du numéraire, la quasi-impossibilité de contracter des emprunts et le peu de compétence des autorités en matière fiscale. Sur le plan des finances et de l’administration publique, il est évident que la centralisation a été trop brutale, dispendieuse et peu efficace. Malgré les difficultés rencontrées dans la perception des impôts, le bilan des ressources n’est pas entièrement négatif : « La fiscalité héritée de l’Helvétique sera essentielle à la prospérité du jeune Canton. » (p. 362). Ce qui grève énormément le budget, ce sont les réquisitions des armées françaises, échangées contre des « bons de fournitures », dont le remboursement ne sera jamais complètement acquitté.

Pourtant le pays vaudois a d’importantes ressources foncières : forêts, vignobles, domaines nationalisés au profit de l’État central ; Monod n’en décolère pas : il aurait fallu utiliser ce patrimoine d’abord pour rembourser les dettes proprement vaudoises, puis en mettre le surplus dans le pot commun de la république. Mais déprédations, dévastation des forêts, braconnage, entretien et mauvaise conjoncture diminuent beaucoup les rendements de ces propriétés. En plusieurs étapes, elles sont vendues pour alimenter le trésor public perpétuellement déficitaire. Il y a tant à faire malgré tout ce que le régime bernois avait instauré : réseau routier, hôpitaux, prisons, assistance publique, aide en cas de catastrophes, parmi beaucoup d’autres occupations. Particulièrement intéressante est la section dévolue à la « compilation de données », effort statistique typique de l’époque ; introduire l’unitarisme dans un pays aussi hétérogène que la Suisse entraîne une prise de connaissance globale, d’où les rapports, tableaux, mémoires et enquêtes de toute sorte, dont la CA du Léman s’acquitte efficacement.

Quelles relations une CA aussi active peut-elle entretenir avec les autorités lémaniques ou helvétiques ? Les pages sur la collaboration avec le préfet, surtout Polier, sont significatives : les deux instances ont des attributions concurrentes et l’auteur examine parfaitement les enjeux de cette sorte de doublon administratif. D’une manière générale, les administrateurs ont su gagner la confiance tant des couches populaires que des élites comme les pasteurs, l’Académie ou l’ordre judiciaire. Le Léman n’a guère de relations suivies qu’avec le Valais et Fribourg ; la tension s’accroît avec ce dernier dès 1802 à propos des districts de Payerne et d’Avenches qui reviennent dans le giron vaudois. Des conflits frontaliers et l’affaire de Céligny perturbent la bonne entente du Léman avec la France.

L’État central helvétique traverse une période agitée ; ses soubresauts ont relativement peu de répercussions sur le travail de la CA, sauf lors de l’adresse anarchique de 1800, de la révolte des Bourla-Papey et, bien évidemment, lors de la chute de la République helvétique après la guerre des bâtons et la nouvelle intervention française.

Avant l’entrée en vigueur des nouvelles institutions cantonales en avril 1803, la CA joue un rôle important de transition ; la passation de pouvoirs d’abord à la Commission d’organisation, puis au Petit Conseil se fait ainsi sans à-coups. Plusieurs membres de la CA ou de ses fonctionnaires se retrouvent dans le gouvernement ou d’autres instances du nouveau régime.

A. Bastian, dans une belle conclusion, rappelle le sentiment mitigé des Vaudois après l’expérience de l’Helvétique : l’impression dominante est que le pays a été la « dupe » du système unitaire, qu’il avait pourtant soutenu jusqu’au bout. Désormais, la plupart de ses élites seront jalouses de l’autonomie et de la souveraineté du Canton au sein de la nouvelle Confédération : « Cinq ans de vie républicaine auront ainsi autant marqué les esprits que deux cent soixante-deux ans de domination bernoise. » (p. 599). L’expérience multiple et parfois douloureuse de la CA a bel et bien été une « école de gouvernement ».

Travail magistral, comblant une lacune, apportant des connaissances sur l’ensemble de la République helvétique et pas seulement sur le Léman, fondé sur une masse considérable d’informations de première comme de seconde main, la thèse d’A. Bastian, dirigée par le professeur D. Tappy, enrichit une collection à laquelle on est tous redevables. Ce livre aurait encore gagné en allégeant quelque peu son appareil de notes et de références, mais sans toucher à sa précision si utile.

Notes:
1 Marie-Noëlle Altermath, Étude prosopographique de la Chambre administrative vaudoise, 1798-1803, Lausanne : Faculté des lettres (mémoire de licence sous la direction du professeur François Jequier), 2001, 2 vol.

Zitierweise:
Hofmann, Étienne: Rezension zu: Bastian, Adrien: La Chambre administrative du Canton du Léman. Une école de gouvernement, 1798-1803, Lausanne 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 198-200.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 198-200.

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